Homélie pour les funérailles du P. Jean Radermakers 16.06.2021

Homélie pour la messe de funérailles du P. Jean Radermakers, sj, qui fut un grand bibliste.

Première lecture : tiré du Livre de la Sagesse, un passage dont Jean disait : « Sans doute ces lignes résument-elles au mieux ma vie au service de la Parole de Dieu ».

« C’est elle (la Sagesse) que j’ai chérie et recherchée dès ma jeunesse. Je me suis efforcé de l’avoir pour épouse et suis devenu l’amant de sa beauté. Son intimité avec Dieu fait éclater sa noble origine, car le Maître de l’univers l’a aimée… Je décidai donc d’en faire la compagne de ma vie, sachant qu’elle serait ma conseillère aux jours heureux, ma consolation dans mes succès et dans mes peines… » (Sg 8, 2-3.9)

Évangile : le Prologue de l’évangile selon saint Jean : Jn 1,1-18.

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Homélie – « Ta Parole, ma demeure ». Tel est le titre du riche livre d’entretiens de Jean avec Fernand Colleye. Titre très johannique, par ses deux termes-clé : Parole et demeure. Cette inhabitation de la Parole, Jean l’avait mise, en tête de cet ouvrage, à l’enseigne du livre de la Sagesse. Les versets qu’il en cite en liminaire nous ont été proclamés en première lecture.

La célébration de la Sagesse qu’offre ce passage – nous rappelle Jean – est attribuée à Salomon vieillissant, conscient de la lumière mais aussi des ombres qui ont marqué sa vie. Puis Jean ajoute : « En relisant ces lignes, je les fais miennes, tandis que l’homme que je suis, doucement, s’en va vers sa demeure d’éternité, comme l’écrit Qohélet en avançant dans la vieillesse (cf. Qo 12, 5) ». Jean ajoute : « Sans doute ces lignes résument-elles au mieux ma vie au service de la Parole de Dieu. Parole de lumière. Parole de feu. Parole faite chair en Jésus de Nazareth. Parole faite livre dans la Bible et l’Évangile. Parole faite nourriture dans l’Eucharistie. Parole faite compagne dans l’intimité de la contemplation. Parole vivante dans le corps de l’humanité. »

   Oui, frères et sœurs, Jean n’a pas seulement fréquenté et commenté la Parole. Il en a vécu. La parole en personne. À travers les mots qu’elle tisse, la présence dont ils jaillissent comme d’une source. Oui, la voix du Verbe de Dieu, qui a pris notre humanité. La Parole qui, plus que toute autre, s’incorpore et prend visage. Jusqu’à nous façonner pour que notre mémoire, notre intelligence et notre vouloir – toutes facultés bien vivaces chez Jean – s’en imprègnent pour répondre à l’amour que cette Parole en personne nous atteste, et auquel elle nous convoque en retour. Pour que notre cœur s’y attache et mette en œuvre ce qu’elle dit. Que notre visage, notre regard même en deviennent expressifs, comme on le voyait si bien chez Jean lorsqu’il s’animait pour la partager. Ce grand don de la Parole de Dieu, Jean l’a vraiment accueilli comme l’âme de sa propre parole. Il y a répondu. Il s’en est fait le témoin, le relai pour bien d’autres, en écho fidèle.

Jean a retenu cette célébration chaleureuse de la Sagesse personnifiée pour résumer son service de la Parole. Pourquoi ? Parce qu’il vivait l’Alliance avec Dieu à cette profondeur nuptiale que disent ces versets, comme au cœur des épousailles de Dieu avec son peuple. Jean avait reçu et entretenu une intelligence vive et fine. Mais l’intelligence ne s’exerce avec justesse, avec fruit, qu’accordée à la Sagesse divine, qui est de l’ordre de l’amour et de la vérité dans la grâce. L’amour seul porte notre désir de connaissance à la rencontre de Celui qui le premier nous connaît et nous aime. Cette rencontre nous advient au mieux par le Fils de Dieu, précisément venu parmi nous et offert pour nous révéler le Père, et nous conduire gracieusement à sa lumière au-delà de nos ténèbres.

Le prologue du quatrième évangile est inépuisable comme le mystère de Dieu. Contentons-nous d’en revisiter le début et la fin. En ses tout premiers mots, il nous parle, non d’emblée de Dieu, mais de la Parole : « En commencement était la Parole ». Ou le Verbe, le logos. Parole certes dite immédiatement « auprès de Dieu », et « qui était Dieu ». Mais justement : Dieu envisagé d’abord en tant que, par sa parole de vie et de lumière, il communique, il entre en relation. Pour révéler son unicité précisément comme un foyer d’échange, une communion de personnes : les Personnes divines en relation d’amour partagé.

Le dernier verset du Prologue, lui, dit comment, à notre tour, nous sommes, par le Fils, en relation avec Dieu. « Dieu, personne ne l’a jamais vu. Un unique-engendré, Dieu, celui qui est vers le sein du Père, celui-là l’a fait connaître ». Et ce dernier mot du Prologue, ce dernier verbe, dit ce à quoi, ou plutôt Celui à qui, comme révélateur du Père, s’adossa la vocation de Jean Radermakers. C’est en effet le verbe exègèsato, littéralement : « il s’en fit l’exégète ». « Il s’en fit l’interprète », dit une bonne traductrice. Jean fut un excellent exégète qui, dans le respect de la lettre, aidait à l’interpréter, à en dégager la richesse des sens spirituels. Mais comme ami du Verbe fait chair, comme Compagnon de Jésus : le Fils seul nous interprète pleinement le Père pour guider nos interprétations. C’est à l’écoute du Christ d’abord que Jean se laissa guider dans son labeur et sa contemplation. Car ce Dieu que personne n’a jamais vu, le Fils en reflète parmi nous la Gloire : « Philippe, qui m’a vu a vu le Père ». La foi du témoin évangélique confesse cette vision : « Nous avons vu sa gloire, gloire comme d’un unique-engendré de chez un père ». Jean Radermakers a rejoint ce « nous » qui confesse avoir entrevu la gloire de Dieu.

Ce même verbe exegèsato, point d’orgue du Prologue,inclut aussi une connotation de guidance, au point qu’un bon spécialiste le rendait par « il a conduit à le connaître ». Si Jésus nous révèle le Père, c’est inséparablement pour nous conduire à Lui, nous entraîner vers Lui. C’est tout le mouvement de l’évangile : venu de Dieu vers nous, Jésus part vers le Père pour nous y mener dans son sillage. Et Jean, dans son enseignement, sa prédication, ses pèlerinages, ses accompagnements, n’avait de cesse d’éveiller ses auditeurs non seulement à la connaissance de Dieu que prodiguent les Écritures, mais aussi à l’amour de Dieu qui nous attire à Lui en son Fils : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». En servant la Parole, Jean s’est rendu disponible comme serviteur de cette attirance vers le Dieu qui donne vie en son Fils.

Le Prologue de l’évangile de Jean est lu à Noël, pour la messe du jour et celle de l’Octave. Il célèbre la naissance en ce monde du Verbe qui s’est fait chair, selon l’éternel dessein d’amour de Dieu. En route vers le Père, Jean Radermakers poursuit sa renaissance d’en haut. C’est le projet de Dieu pour lui. Pour nous. Pour toute chair.

Tourné  vers le sein du Père

Qui L’engendre de toujours,

Lumière de la lumière

Avant l’aube de nos jours,

Déjà le Verbe à la chair

Acquiesce et veut son retour 

À sa vérité première,

Aux demeures de l’amour.

 « Ta Parole, ma demeure ». Oui :  qu’en notre Dieu qui est Amour, cet amour qui a porté notre frère Jean dans l’Esprit filial, cet amour qui nous a donné Jean, soit son éternelle demeure.  – Amen.

Philippe Wargnies sj, le 16 juin 2021