le bonjour du 30 mars

       Le Bonjour des amis

Eglise st Jean Berchmans ° st Michel 30 mars 2020

Retour sur la bénédiction Urbi et Orbi… et une belle relecture de l’événement

Un homme en blanc remonte seul, à pieds, Dans une marche lente, en boitant, L’esplanade nue de la place Saint Pierre.

Rome et le monde entier l’a désertée.

Seule une fine pluie recouvre de brillance Les pierres et pavés d’un gris argent.

L’homme s’avance, il vient de la ville,

De l’espace-monde,

Et se rapproche de la basilique

Plantée là, vaste et majestueuse,

En mémoire de Pierre, de sa foi,

Du don de sa vie, au nom du Christ.

L’homme est âgé déjà.

Sa démarche,

Son visage,

son allure fatiguée,

Trahissent une vie elle aussi dépensée

Sans réserve, dans l’énergie du don,

Le souffle de la grâce.

L’homme introduit à la prière

Les auditeurs-visionnaires

qui partagent avec lui ,

De partout dans le monde,

Ce moment intense de célébration et de prière.

L’évangile de Jésus Christ selon Marc

Retentit dans toute la beauté

Du chant qu’un homme en noir, laïc,

Entame ailleurs sur la place,

On ne sait trop d’où d’ailleurs,

et peu importe.

Sa voix chaude, ses paroles distinctes

En cette langue chantante qu’est l’italien Offrent à nos oreilles de réentendre à neuf L’évangile de la tempête apaisée, en Marc 8.

Ces paroles nous baignent de douceur et de clarté, La voix enveloppe et calme, Elle proclame l’inouï d’un Fils de Dieu Embarqué avec nous dans la tempête de ces jours de pandémie.

Et l’homme en blanc écoute,

et l’homme en blanc médite et parle.

Il donne à entrer dans l’intelligence

De ce texte à l’actualité soudain si nouvelle.

Nous avons peur nous aussi,

nous nous sentons écrasés, désorientés,

Par les effets tragiques de ce virus

venu soudain bouleverser notre quotidien, Nous terrer en nos maisons, Nous convier à soigner et accompagner  malades et mourants, Écoliers, parents, ouvriers au chômage, Patrons inquiets pour leurs activités, Politiques engagés sur le front Des consignes, des mesures de prévention, De protection et d’accompagnement majeures.

L’homme en blanc reprend les mots de Jésus Dans la barque secouée par les flots impétueux De la mer de Galilée :

« Pourquoi êtes-vous peureux ?

N’avez-vous pas encore foi ? »

Seigneur, soutiens notre cœur.

En ce temps d’adversité,

Garde vive et agissante notre foi,

Car tu es là, avec nous,

En cette barque secouée.

Sur la Croix, tu nous as donné le témoignage de ton amour pour nous, Tu nous as sauvés.

Et aujourd’hui, tu es là,

Vivant, à nos côtés

Pour nous soutenir dans cette terrible épreuve.

Que notre espérance ne faiblisse pas.

Qu’elle porte les soignants

et tous ceux qui aident leur prochain

en poursuivant leur travail,

À garder confiance,

À vivre de leur espérance.

Ce qu’il nous faut privilégier, en ces heures noires, La seule exigence à tenir, En cette pandémie, C’est la prière Et le discret service de nos frères.

Ce sont là nos armes contre le virus.

Utilisons-les à plein.

L’homme ensuite reprend sa marche claudiquante En direction de l’icône de « Marie, salut des romains », Antique icône vénérée par des générations de chrétiens.

Il prie devant elle, en silence.

Puis se dirige sur sa gauche,

jusqu’au pied du Crucifix

devant lequel les romains prièrent déjà, au seizième siècle, implorant d’être délivrés de la peste.

L’homme en blanc contemple Jésus en croix, son côté droit ouvert, saignant, Son côté gauche lavé par les gouttes de pluie du moment dessinant sur lui des rigoles fragiles.

Il prie, silencieux, et nous avec,

Conduits par lui dans cette méditation.

Puis il s’avance, touche le bois et l’embrasse, sans autre forme de prévenance.

Et il se dirige vers la basilique, d’où, Par ses portes ouvertes, Est amené sur un autel bâti dans le narthex extérieur, Le saint sacrement du corps du Christ.

L’homme en blanc reste là,

debout puis assis,

De longues et graves minutes,

pendant qu’un chœur d’hommes

demeuré bienheureusement invisible

À nos yeux déjà en manque d’objets en mouvement, Scande l’adoration de litanies implorantes, Pleinement ajustées à la grave actualité du moment, Suffisamment détachées d’elle aussi pour être de tout lieu et de tout temps où l’humanité souffre et gémit En d’indicibles tourments.

L’homme en blanc fait silence,

Il écoute et il prie.

Ensuite il se lève,

Et on lui amène le saint sacrement,

Et sans autre parole ou formule

que ce geste signifiant,

Il se rapproche, fait face à la ville,

Et par-delà la place déserte,

Trace avec le corps eucharistique du Fils Plusieurs signes de croix, Bénissant Rome et le monde Par ce geste de douceur Et de tranquille apaisement.

Tout est dit.

Ce fut la bénédiction Urbi et Orbi

De François, évêque de Rome,

Durant la pandémie du printemps 2020.

Une bénédiction à nulle autre pareille,

Dépouillée de tout faste,

Sans gardes suisses, prélats,

Carabinieri ni fanfare,

Sans balcon ni flon-flon,

Sans décorum ni protocoles,

Invités, couronnés,

Délégations et représentations :

Juste une prière partagée,

D’homme à hommes,

D’homme souffrants à hommes éplorés,

Dans l’écoute de l’évangile de vie,

La contemplation du Crucifié,

La présence maternelle de Marie,

Le pain de vie eucharistique,

La supplique des litanies,

Et ce geste de pauvre,

Ce geste sauveur

Du signe de la croix

Tracé sur la ville et le monde

Avec le Corps du Christ,

Pain vivant livré pour nos péchés.

Sauvés, nous le sommes,

Par cette miséricorde venant du ciel

Sur tous les hommes,

À la mesure de leur désir,

À la mesure de leur cœur, ouvert.

Hier, sans aucun doute,

Nous furent très nombreux à communier

À cette grâce prodiguée,

Via les airs, par connexions,

À travers la médiation de l’homme en blanc, Successeur de Pierre, Sans plus ni trône ni goupillons, Sans invectives religieuses Ni culpabilisantes condamnations, Porté seulement par la prière?

Par la parole et le signe offert

De l’amour du Seigneur pour la terre.

sœur Isabelle Donegani

28.03.20

Ci-après un extrait d’une lettre écrite par un médecin italien âgé de 38 ans,

Dr Julian Urban travaillant dans un hôpital en Lombardie. Elle a été transmise par un confrère italien, ce matin, à notre fille, médecin spécialiste en maladies infectieuses et elle aussi en première ligne d’attaque contre l’épidémie de coronavirus dans un grand hôpital.

“Jamais dans mes cauchemars les plus fous n’aurais-je imaginé voir ce qui se passe dans notre hôpital depuis trois semaines… 

D’abord quelques malades sont arrivés, puis des dizaines, puis des centaines, tous atteints de manière de plus en plus grave. Maintenant nous ne sommes plus des médecins, mais des “aiguilleurs” qui envoient telle personne vers un lit de réanimation, telle autre chez elle pour mourir, alors même que tous ces patients ont payé les mêmes impôts dans notre pays, toute leur vie.

Jusqu’à il y a deux semaines mes collègues et moi-même étions des athéistes convaincus. Ce qui est normal puisque nous sommes médecins et que l’on nous a appris que la science excluait la présence de Dieu. J’avais l’habitude de me moquer gentiment de mes parents quand ils allaient à l’église. Il y a neuf jours un pasteur âgé de 75 ans a été admis dans notre hôpital. C’était un homme bon et affable, souffrant de difficultés respiratoires graves. Il avait une Bible avec lui et nous a impressionnés par son attitude : il n’hésitait pas à en lire des passages aux autres malades et à tenir la main de ceux qui mouraient. Nous autres médecins étions exténués, à bout physiquement et psychologiquement, mais quand nous avions une minute nous l’écoutions lire et prier.

Nous sommes au bout du rouleau, incapables de faire davantage. Les gens meurent autour de nous chaque jour. Deux de nos collègues viennent de mourir à leur tour et d’autres membres du personnel soignant ont contracté le virus. Nous avons compris enfin que nous devions nous adresser à Dieu pour Lui demander de nous venir à l’aide. C’est ce que nous avons commencé à faire, quelques uns d’entre nous, dès que nous avions quelques minutes de répit. Nous trouvons encore incroyable de rechercher ensemble aujourd’hui la paix de Jésus, alors que naguère nous étions des athéistes endurcis, et de Lui demander la grâce de nous permettre de continuer à aider tous ceux que souffrent autour de nous.
Hier ce pasteur de 75 ans est mort. Alors que nous avons enregistré 120 décès en moins de trois semaines dans notre seul service, la sienne nous a bouleversés. Malgré sa propre condition et nos dures conditions de travail, il avait réussi à nous insuffler une PAIX que nous recherchions ailleurs sans pouvoir la trouver. Ce pasteur est allé rejoindre son Seigneur et Maître et bientôt nous irons le rejoindre nous aussi si les conditions ne s’améliorent pas.

Cela fait 6 jours que je ne suis pas rentré chez moi. Je ne me souviens plus de mon dernier repas. Je comprends à présent combien petit je suis sur cette terre. Mais je tiens à utiliser toute mon énergie, jusqu’à mon dernier souffle pour aider les autres. Je suis tellement heureux, grâce à ce pasteur, d’avoir fait le chemin vers Dieu, alors que je marche entouré de tant de souffrances de mes frères humains et que je fais face à la mort si souvent.”

Priez pour ce médecin qui a trouvé la paix en Jésus grâce à l’intervention de ce pasteur malade, et pour tous ses confrères engagés dans la même lutte de tous les jours. Priez pour que sa foi s’affermisse et lui donne le courage de continuer avec espoir, les yeux fixés sur Jésus.

Évangile (Jn 11, 1-45) : la résurrection de Lazare (par X. Dijon sj)

Commençons par situer cette page d’Evangile à la fois dans l’Evangile selon S. Jean et dans notre parcours de Carême, pour voir comment se déroule la préparation des candidats au baptême. Puis nous approfondirons la lecture de cette page elle-même avant de proposer une attitude spirituelle possible pour ce temps de confinement.

Saint Jean dans le Carême.

Cette résurrection de Lazare, lue en ce 5e dimanche de Carême, se situe au chapitre 11 de l’évangile selon S. Jean donc, bien sûr, après le chapitre 4 qui rapporte la rencontre de Jésus avec la Samaritaine (entendue dans l’évangile du 3e dimanche de Carême), et aussi après le chapitre 9 où est racontée la guérison de l’aveugle-né (lue la semaine dernière, au 4e dimanche). Le chapitre 12, qui suit cette résurrection de Lazare contient l’entrée de Jésus à Jérusalem que nous lirons la semaine prochaine, au dimanche des Rameaux, début de la Semaine sainte. Nous avons donc, en amont, trois rencontres : la Samaritaine, l’aveugle-né et Lazare ; en aval, cette Sainte semaine au cours de laquelle l’Eglise se rappelle la Passion, la mort et la résurrection de Jésus.

Il faut se rappeler par ailleurs que la nuit de Pâques (Vigile pascale) est le moment par excellence où se célèbrent les baptêmes, en particulier des adultes. On ne s’étonnera pas de ce choix puisque le baptême signifie précisément la plongée dans la mort du Christ et son relèvement dans sa résurrection. Le baptisé entend mourir au péché pour vivre de la vie du Christ. Tous les symboles de la célébration montrent ce lien noué par le Christ ressuscité avec cette personne qui s’est présentée au baptême : elle a reçu l’onction qui donne l’Esprit, elle a été illuminée par le cierge pascal qui symbolise la lumière du Christ, elle a revêtu le vêtement blanc, signe de Pâques. En principe, le nouveau baptisé devrait donc pouvoir dire avec S. Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Cette célébration du baptême manifeste l’engagement des deux partenaires de l’alliance baptismale. Elle manifeste donc d’abord la grâce de Dieu le Père qui appelle toujours de nouveaux enfants à suivre son Fils le Christ et à devenir membres de son Corps qui est l’Eglise ; elle manifeste ensuite la foi du catéchumène qui a voulu précisément répondre de tout lui-même à cet appel de Dieu.

La préparation au baptême

Pour préparer les catéchumènes (adultes) à cet engagement dans le baptême, l’Eglise organise des enseignements (catéchèses) qui permettent aux participants de comprendre les tenants et aboutissants de la vie chrétienne dans laquelle ils entendent s’engager : la lecture de l’Ecriture sainte selon la tradition de l’Eglise, l’explication du Credo, la vie morale du chrétien, sa vie spirituelle… Sur le plan liturgique, la préparation plus immédiate du baptême se vit logiquement juste avant la Vigile pascale, c’est-à-dire durant le Carême. Alors que, pendant le Carême, l’ensemble du Peuple de Dieu se prépare, par le jeûne, la prière et l’aumône, à vivre le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, le groupe des catéchumènes s’inscrit dans ce grand mouvement d’Eglise pour intensifier sa propre préparation au baptême. Plus précisément, le groupe se réunit le 1er dimanche de Carême pour ce qu’on nomme l’appel décisif, puis au cours des 3e, 4e et 5e dimanches de Carême, au cours desquels ont lieu ce que, dans le langage ecclésial, on appelle les scrutins.

Ces scrutins n’ont rien à voir avec une quelconque procédure électorale (de scrutin majoritaire ou uninominal…) mais plutôt avec la réflexion dans laquelle le catéchumène examine (scrute) sa conscience et son cœur, pour savoir s’il persévère dans sa résolution de foi : est-il prêt à compter sur la grâce du Christ pour tenir son engagement de chrétien ? A-t-il bien compris la portée de cet engagement ? Est-il prêt à repousser les tentations et à renoncer aux œuvres du Mal ? Est-il prêt à demander le pardon du Seigneur s’il s’est écarté du chemin de la foi chrétienne ? Bref, pense-t-il répondre aussi loyalement et généreusement que possible, avec l’aide de Dieu lui-même, à la grâce qui lui est faite ?

Le rite du scrutin est sobre : après la lecture de l’évangile et l’homélie, le prêtre impose les mains aux candidats au baptême, puis il déploie sur eux une prière où il demande que ces catéchumènes soient illuminés et purifiés afin que le baptême à venir manifeste effectivement pour eux leur configuration au Christ.

A partir de ce petit rappel liturgique, nous pouvons revenir aux trois rencontres évoquées tout à l’heure – de la Samaritaine, de l’aveugle-né, de Lazare et de ses sœurs – car ces passages-là, extraits de l’évangile de Jean, sont précisément lus durant les trois dimanches de scrutin, de telle sorte que les catéchumènes comprennent bien les enjeux de leur baptême à venir. Cette pédagogie est judicieuse car il s’agit chaque fois, en effet, d’un cheminement dans la foi.

Ainsi la Samaritaine arrive-t-elle au puits non seulement avec sa cruche, mais encore avec ses préjugés contre les Juifs, sa vie amoureuse brinquebalante et sa recherche de la véritable montagne – le mont Garizim ou le mont Sion ? – où on peut adorer Dieu. Or Jésus entame avec cette femme un dialogue qui l’amène à faire la vérité sur elle-même et à recevoir la révélation de Jésus lui-même comme Messie. Ainsi, en entendant ce récit, le catéchumène, qui se pose peut-être lui aussi des questions sur sa propre démarche de vie, pourra-t-il être amené à faire la vérité sur lui-même, à donner davantage sa foi au Christ et même à devenir missionnaire comme le fut la Samaritaine auprès des gens de son village (« Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait » Jn 4,26)…

Même démarche dans la rencontre de l’aveugle-né. Il mendie, et Jésus lui rend la vue en lui appliquant sur les yeux la boue qu’il avait fabriquée avec sa salive. Après le miracle, l’infirme guéri ne situe pas bien celui qui lui a ouvert les yeux. Il parle de « celui qu’on appelle Jésus » (Jn 9, 11) ; plus tard, devant les pharisiens, il s’enhardit : « c’est un prophète » (Jn 9,17) ou quelqu’un qui vient de Dieu (cf. Jn 9,33) ; finalement, devant Jésus lui-même il se prosterne en confessant « je crois, Seigneur » (Jn 9,37). Ici encore, le catéchumène qui ne voit peut-être pas encore très clair dans l’engagement qu’il va prendre peut se sentir soutenu par cette grâce du Christ qui jette sur son existence une lumière toute nouvelle.

Reste enfin l’évangile d’aujourd’hui : la résurrection de Lazare. Ses deux sœurs, Marthe et Marie, ont exprimé chacune leur confiance en Jésus : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort » (Jn 11,21,32) mais le Seigneur veut les amener à faire un pas de plus pour qu’elles comprennent qu’il est encore ici et maintenant le maître de la vie et de la mort. Il les invite à la foi : « Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Jn 11,26). Ainsi, le catéchumène est-il amené, lui aussi, à se poser la question : crois-tu cela ? Il est conduit à se rendre avec les deux sœurs et la foule vers le tombeau et à comprendre devant le signe qui lui est donné (‘Lazare, viens ici. Dehors ! », Jn 11,44) que la vie du Christ reçue au baptême a une portée d’éternité. C’est précisément sur cette troisième rencontre que nous pouvons insister puisqu’elle constitue l’évangile du jour.

Le chassé-croisé des morts

Le début de l’évangile de ce jour apparaît comme un étrange chassé-croisé entre la maladie de Lazare et la mort de Jésus, comme aussi entre la Judée et la Galilée. Puisque Lazare est malade à Béthanie (près de Jérusalem, en Judée), ses sœurs envoient dire à Jésus (qui se trouve en Galilée) l’état de leur frère, son ami. Mais Jésus ne se précipite pas pour se rendre au chevet de Lazare ; il dit d’ailleurs que cette maladie n’est pas mortelle. Puis après deux jours il se décide à partir en Judée ; à ce moment, il reçoit les objections de ses disciples qui lui rappellent qu’il est là-bas menacé de mort. Un tel déplacement est donc dangereux ; il est en outre inutile puisque, d’après Jésus, Lazare dort. Jésus doit-il dès lors risquer sa vie pour aller réveiller un ami qui se repose ? Mais Jésus coupe court au malentendu : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez » (Jn 11,14-15). Il est vrai que, pour Jésus, la mort de l’homme n’est qu’un sommeil, comme il va le prouver en rendant la vie à Lazare, mais il faut voir aussi qu’en descendant en Judée auprès de son ami Lazare, il signe son arrêt de mort. Là-bas, en effet, les Juifs voulaient le lapider. D’ailleurs l’apôtre Thomas ne s’y trompe pas : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » (Jn 11,16).

Que veut Jésus, finalement ? En fait, il le dit lui-même : il veut la foi de ses disciples, la foi de son Eglise et, finalement, la foi de tous les humains. Le désir qui habite son cœur, depuis le début, c’est que les gens soient reliés à son propre Père et donc qu’ils croient en lui, Jésus, le Fils du Père. C’était déjà ce qui s’est passé avec la Samaritaine : Jésus avait soif non pas de l’eau du puits mais de sa soif à elle : il voulait que cette femme puisse trouver en lui, Jésus-Messie, le lieu en qui elle pourrait adorer le Père en esprit et en vérité. Même chose avec l’aveugle-né : Jésus ne voulait pas seulement lui faire découvrir la lumière du jour mais, plus profondément la lumière de la foi qui permet à l’aveugle de reconnaître en lui, Jésus, le Seigneur de sa vie. C’est cette relation fondamentale à lui que Jésus cherche, non pas pour sa propre gloire, mais pour celle de son Père qui est dans les cieux. Même chose encore, ici, avec Lazare : le Seigneur ne veut pas seulement redonner vie à son ami en le tirant du sommeil de la mort pour qu’il vive quelques années en plus ; il veut, par ce signe, susciter et confirmer la foi de ses disciples, la foi de Marthe, de Marie et de la foule en sa propre personne ; sa personne à qui chacun doit pouvoir dire (dans la foi, précisément) qu’il est la résurrection et la vie. S’il tire, pour quelques années, Lazare de la mort, c’est pour que, par ce signe, nous puissions lui donner notre foi, et recevoir dès lors de lui la vie éternelle.

Or comment le Seigneur Jésus donnera-t-il la vie ? Non pas seulement la prolongation temporaire d’une vie, par exemple à la manière des transhumanistes qui ont décrété la guerre au vieillissement et même la mort de la mort, mais comment donnera-t-il la vie éternelle qu’il porte en lui en tant que Fils du Père ? Pas autrement qu’en mourant lui-même. Or c’est précisément cette mort qu’il a accepté de subir en se rendant de Galilée à Béthanie. Il rend la vie à Lazare mais il livre la sienne puisque, aussitôt après ce signe donné au tombeau, le conseil des grands prêtres et des Pharisiens se déclare résolu à le tuer (Jn 19,53). Il fallait mystérieusement cette mort humaine du Christ pour que sa vie divine passe en nous, pour toujours. C’est à sa mort qu’il livre l’Esprit (cf. Jn 19,30) car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15,13).

Dès lors, encore une fois, lorsque le catéchumène entend, dans la célébration des scrutins, après la Samaritaine et après l’aveugle-né, ce récit de la résurrection de Lazare, il sait l’enjeu d’éternité du baptême qu’il va recevoir. L’eau vive de la Samaritaine était déjà source jaillissant en vie éternelle, et la lumière dans les yeux de l’aveugle, c’est celle de la foi dans le Seigneur. Il est invité à recevoir en plein cœur la question que Jésus posait à Marthe : « crois-tu cela ? ». Il peut alors commencer à examiner (scruter) son âme pour savoir si elle est toujours résolue à donner sa foi à Celui qui est la résurrection et la vie.

Après ce parcours de la préparation des catéchumènes et de l’enseignement de ce 5e dimanche de Carême, pouvons-nous conclure sur une attitude spirituelle possible en ce temps de confinement ?

Une attitude spirituelle pendant le confinement

L’autre jour, un père de famille m’a confié son dépit de ne pouvoir offrir à sa fille cadette la possibilité de se rendre en famille à une célébration dominicale puisque, par mesure sanitaire, toutes les célébrations étaient supprimées. Cette frustration était d’autant plus regrettable que l’enfant se préparait à faire sa première communion, et qu’il était donc dommage qu’elle ne puisse pas être soutenue dans sa démarche de préparation par une communauté célébrante. Un moment, le papa avait songé à chercher s’il n’y aurait pas ‘quelque part’ un lieu où serait tout de même célébrée une eucharistie à laquelle il pourrait emmener sa famille. Mais il s’est bientôt ravisé de cette idée dans une sorte de culbute : au lieu d’amener la cadette à une célébration où les adultes pourraient la soutenir dans sa démarche de préparation à l’eucharistie, ne valait-il pas mieux renverser la perspective et reconnaître que les adultes pourraient tout aussi bien vivre ce temps de confinement dans l’attitude intérieure de l’enfant qui se prépare à sa première communion.

Voilà, en tout cas, la perspective qui nous rapprocherait du catéchuménat.

Dans l’Eglise primitive, les catéchumènes n’assistaient qu’à la liturgie de la Parole puis, une fois accomplis les rites des scrutins, ils quittaient l’église, car ils n’avaient pas encore reçu le baptême qui les faisait membres de la communauté eucharistique. A tort ou à raison, ce renvoi des catéchumènes – toujours prévu dans le Rituel – n’est plus guère pratiqué de nos jours, mais il peut au moins nous indiquer une piste pour ce temps de confinement.

Vu les circonstances, nous ne pouvons, nous non plus, participer à la liturgie eucharistique, mais nous pouvons tout de même accueillir la Parole là où nous sommes. Pourquoi ne pas laisser descendre en nous cette Parole dans un esprit de scrutin comme le font les catéchumènes avec cette différence que, pour nous, il s’agit d’un questionnement opéré après le baptême ? Dans ce sens ces trois lectures de l’Evangile selon S. Jean nous renverraient à notre conscience : où en suis-je dans ma foi ? qu’ai-je fait de la grâce que j’ai reçue au baptême ? quelles sont les œuvres qui manifestent ma foi ? Ou encore : que vais-je répondre au Christ s’il me dit : ‘donne-moi à boire’ (Jn 4,7) ou ‘va te laver à la piscine de Siloé’ (Jn 9,7) ou encore, s’il me demande : ‘crois-tu cela ?’(Jn 11,26)

Lazare, viens dehors ! Tu n’y penses pas, Seigneur !

Avec cette Pandémie, même mort je ne sortirai pas.

Ouverture ces jours-ci de l’église st Jean Berchmans ° st Michel

En raison des mesures actuelles, le sacrement de réconciliation individuel ne pourra être conféré. Les évêques de Belgique autorisent les fidèles à reporter leur confession pascale à une date ultérieure. Ou, comme l’a récemment déclaré le Pape François au vu des circonstances exceptionnelles de cette année : Oui, il est possible de recevoir le pardon de Dieu sans prêtre. Si tu ne trouves pas de prêtre pour te confesser, parle avec Dieu, il est ton Père, et dis-lui la vérité : ‘Seigneur, j’ai commis le mal en ceci, en cela, …” Demande-lui pardon de tout ton cœur avec l’acte de contrition et promets-lui : “Je me confesserai plus tard, mais pardonne-moi maintenant”. Et tu reviendras immédiatement dans la grâce de Dieu.

Comment célébrer Pâques sans confession ni communion, ou ‘faire ses Pâques’ cette année ? En faisant ce qui est possible : prier à la maison, seul ou en famille ; lire et méditer les lectures et les prières prévues pour la Semaine Sainte ; suivre une célébration liturgique à la radio, à la télévision ou en livestream.

Il n’y aura pas de bénédiction des rameaux.

Notre église reste ouverte pour la prière individuelle. Mettre une bougie prolonge notre prière…

Echos. Demandes de Prière. Pour les malades et les soignants.

Et tout s’est arrêté…

Ce monde lancé comme un bolide dans sa course folle, ce monde dont nous savions tous qu’il courait à sa perte mais dont personne ne trouvait le bouton « arrêt d’urgence », cette gigantesque machine a soudainement été stoppée net. A cause d’une toute petite bête, un tout petit parasite invisible à l’œil nu, un petit virus de rien du tout… Quelle ironie ! Et nous voilà contraints à ne plus bouger et à ne plus rien faire. Mais que va t-il se passer après ? Lorsque le monde va reprendre sa marche ; après, lorsque la vilaine petite bête aura été vaincue ? A quoi ressemblera notre vie après ?

Après ?

Nous souvenant de ce que nous aurons vécu dans ce long confinement, nous déciderons d’un jour dans la semaine où nous cesserons de travailler car nous aurons redécouvert comme il est bon de s’arrêter ; un long jour pour goûter le temps qui passe et les autres qui nous entourent. Et nous appellerons cela le dimanche.

Après ?

Ceux qui habiteront sous le même toit, passeront au moins 3 soirées par semaine ensemble, à jouer, à parler, à prendre soin les uns des autres et aussi à téléphoner à papy qui vit seul de l’autre côté de la ville ou aux cousins qui sont loin. Et nous appellerons cela la famille.

Après ?

Nous écrirons dans la Constitution qu’on ne peut pas tout acheter, qu’il faut faire la différence entre besoin et caprice, entre désir et convoitise ; qu’un arbre a besoin de temps pour pousser et que le temps qui prend son temps est une bonne chose. Que l’homme n’a jamais été et ne sera jamais tout-puissant et que cette limite, cette fragilité inscrite au fond de son être est une bénédiction puisqu’elle est la condition de possibilité de tout amour. Et nous appellerons cela la sagesse.

Après ?

Nous applaudirons chaque jour, pas seulement le personnel médical à 20h mais aussi les éboueurs à 6h, les postiers à 7h, les boulangers à 8h, les chauffeurs de bus à 9h, les élus à 10h et ainsi de suite. Oui, j’ai bien écrit les élus, car dans cette longue traversée du désert, nous aurons redécouvert le sens du service de l’Etat, du dévouement et du Bien Commun. Nous applaudirons toutes celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont au service de leur prochain. Et nous appellerons cela la gratitude.

Après ?

Nous déciderons de ne plus nous énerver dans la file d’attente devant les magasins et de profiter de ce temps pour parler aux personnes qui comme nous, attendent leur tour. Parce que nous aurons redécouvert que le temps ne nous appartient pas ; que Celui qui nous l’a donné ne nous a rien fait payer et que décidément, non, le temps ce n’est pas de l’argent ! Le temps c’est un don à recevoir et chaque minute un cadeau à goûter. Et nous appellerons cela la patience.

Après ?

Nous pourrons décider de transformer tous les groupes WhatsApp créés entre voisins pendant cette longue épreuve, en groupes réels, de dîners partagés, de nouvelles échangées, d’entraide pour aller faire les courses où amener les enfants à l’école. Et nous appellerons cela la fraternité.

Après ?

Nous rirons en pensant à avant, lorsque nous étions tombés dans l’esclavage d’une machine financière que nous avions nous-mêmes créée, cette poigne despotique broyant des vies humaines et saccageant la planète. Après, nous remettrons l’homme au centre de tout parce qu’aucune vie ne mérite d’être sacrifiée au nom d’un système, quel qu’il soit. Et nous appellerons cela la justice.

Après ?

Nous nous souviendrons que ce virus s’est transmis entre nous sans faire de distinction de couleur de peau, de culture, de niveau de revenu ou de religion. Simplement parce que nous appartenons tous à l’espèce humaine. Simplement parce que nous sommes humains. Et de cela nous aurons appris que si nous pouvons nous transmettre le pire, nous pouvons aussi nous transmettre le meilleur. Simplement parce que nous sommes humains. Et nous appellerons cela l’humanité.

Après ?

Dans nos maisons, dans nos familles, il y aura de nombreuses chaises vides et nous pleurerons celles et ceux qui ne verront jamais cet après. Mais ce que nous aurons vécu aura été si douloureux et si intense à la fois que nous aurons découvert ce lien entre nous, cette communion plus forte que la distance géographique. Et nous saurons que ce lien qui se joue de l’espace, se joue aussi du temps ; que ce lien passe la mort. Et ce lien entre nous qui unit ce côté-ci et l’autre de la rue, ce côté-ci et l’autre de la mort, ce côté-ci et l’autre de la vie, nous l’appellerons Dieu.

Après ?

Après ce sera différent d’avant mais pour vivre cet après, il nous faut traverser le présent. Il nous faut consentir à cette autre mort qui se joue en nous, cette mort bien plus éprouvante que la mort physique. Car il n’y a pas de résurrection sans passion, pas de vie sans passer par la mort, pas de vraie paix sans avoir vaincu sa propre haine, ni de joie sans avoir traversé la tristesse. Et pour dire cela, pour dire cette lente transformation de nous qui s’accomplit au cœur de l’épreuve, cette longue gestation de nous-mêmes, pour dire cela, il n’existe pas de mot.

Ecrit par Pierre Alain LEJEUNE, prêtre à Bordeaux

Pour toute réaction, proposition, échange ou demande :

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Et les jésuites de la communauté qui restent branchés et en communion.